L’écolo-attitude de Christophe Rauck

Notre page d’automne rime forcément avec rentrée. Une rentrée qui se veut théâtrale cette fois. C’est donc l’écolo attitude de Christophe Rauck metteur en scène et directeur du Théâtre du Nord de Lille que nous avons le plaisir de vous offrir. Bio dans nos Vies a eu la chance de le rencontrer à Saint Jeannet, son village natal, au cour d’une de ses courtes pauses. Belle occasion de lui poser quelques questions. 

La carrière théâtrale de Christophe Rauck débute en 83 lorsqu’il débarque à Paris pour être comédien. Depuis  il a fait du chemin et au fil de ses rencontres, de ses créations et grâce à sa passion, ses profondes convictions et son esprit libre, il a sa place au théâtre. 

Un théâtre où se mêlent  les oeuvres classiques  de Shakespeare, Racine, Molière, Marivaux, Beaumarchais, Gogol  et des créations plus contemporaines avec Martin Crimp, Rémi De Vos, en passant par Brecht ou Camus.

Un théâtre où la musique n’est jamais loin. Où les voyages se font la part belle comme encore dernièrement pour  » Amphitryon  » de Molière, qu’il a monté à Moscou avec les acteurs de la troupe de Piotr Fomenko, et présenté au Théâtre du Nord, en mai 2018.

Le théâtre de Christophe Rauck c’est aussi le texte et le langage qui se travaillent tout en sensation et dans une recherche physique, avec une scénographie où les plateaux s’illuminent et se décorent à la façon des peintres face à leurs toiles. L’empreinte certaine de son passage aux Arts décoratifs.

Un théâtre qui fait profondément lien entre l’esprit et le corps, la pensée et la matière, entre culture et quotidien et définitivement tourné vers les gens, largement.

Bio dans nos vies: Bonjour Christophe, merci de nous accorder un peu de ton temps.

Christophe Rauck: Bonjour Bio dans nos vies

Bio dans nos vies: D’où vient chez toi l’envie de faire du théâtre?

Christophe Rauck: Dans un premier temps je n’ai pas pensé faire du théâtre encore moins devenir metteur en scène. Après un an en art déco à la villa Arson à Nice, j’ai réalisé que ce n’était pas vraiment ce que je souhaitais. Un jour en classe un pote qui fait du cinéma d’animation aujourd’hui, me voyant faire le clown me dit: tu devrais être comédien. Et puis l’envie de partir à Paris était là. Alors je suis parti. Je suis arrivé à Paris et j’ai pris des cours de théâtre 2 ans. J’ai fait un premier spectacle à la Huchette en 86 puis je suis rentré à la Cartoucherie, mais pas chez Ariane Mnouchkine, à l’Epée de Bois durant 2 ans. Et là j’ai commencé à comprendre que le théâtre était mon truc. En parallèle un élément déclencheur a confirmé ce qui commençait à se dessiner pour moi. J’ai vécu un choc esthétique en assistant aux répétitions de Gorgio Strehler, un des plus grand metteur en scène européen dans les années 80. Puis en 90 je fait un stage chez Ariane Mnouchkine. Et je me suis dis, le théâtre pour moi ce sera chez Ariane ou ce ne sera pas…. J’ai arrêté le théâtre pendant 1 an et en 91 Ariane organise un stage-audition. Je me suis présenté et je suis rentré au Théâtre du Soleil. J’y suis resté 5 ans. 

Bio dans nos vies: L’entrée au Théâtre du Soleil est un tournant pour toi probablement?

Christophe Rauck:  Oui, en effet. J’y ai fait les tragédies grecques « Les atrides » qui ont tourné dans le monde entier et « La ville parjure» sur la question du sang contaminé.  J’y ai tout appris, j’ai adoré cette rencontre avec cette artiste incroyable, extraordinaire qu’est Ariane Nmouchkine. Puis en 95 arrive « Le Tartuffe »! Son idée géniale d’utiliser des masques pour des intermèdes illustrant une phrase qu’elle avait vue dans une université Iranienne et qui l’avait frappée : « il est interdit de rire » s’est avérée compliquée à gérer avec « Le Tartuffe ». Et elle a du choisir. Elle a choisi « Le Tartuffe » et tous les comédiens masqués se sont retrouvés à la marge. Et tout d’un coup je n’étais plus d’accord sur plein de choses et notamment sur le rapport au texte. Je cherchais un truc sur les textes mais je ne savais pas encore quoi. Moi même en étant sur les deux axes de la mise en scène j’ai décidé de partir. 

Bio dans nos vies: Décision pas facile!

CR: Oui parce que je me disais que quand on part de La Cartoucherie on part avec rien. Personne ne nous connait. Je voulais arrêter le théâtre. Mais voyant les comédiens qui quittaient La Cartoucherie, un peu perdus et estropiés je leur ai proposé pour la survie probablement, de faire un spectacle: « Le cercle de Craie Caucasien » de Brecht. La troupe s’est appelée  « Terrain vague ». On a trouvé un squat, on a travaillé 5 mois pour monter le spectacle. Et sans y penser j’ai pris la mise en scène en main avec mon expérience de comédien.  Pour la mise en scène lors des difficultés à diriger j’ai trouvé un souffle et une inspiration grâce à Roberto Moscoso peintre et scénographe. Il m’a parlé comme un peintre et là j’ai eu un déclic. La porte de mes études plastiques fermée s’est re-ouverte. Arianne est venue voir le spectacle dans le squat et a pris le spectacle à La Cartoucherie.

BDNV: Magnifique, belle démarche de sa part.

CR: Oui Ariane est assez extraordinaire sur ce plan là aussi, humain et surtout si le théâtre est là, elle fera tout pour le théatre. Le jour de la première elle m’a présenté à plein de gens. Après je suis allé voir les potes et je leur ai dit: je crois que j’ai fait une mise en scène. Et l’anecdote c’était que tout le monde le savait sauf moi. Impossible d’imaginer pour moi que j’allais être metteur en scène, surtout après être passé par Ariane. Tu ne peux pas te dire être le soleil à côté d’un soleil comme Ariane ou devenir le soleil un jour.

C’est là qu’est partie pour moi la mise en scène. Puis en 97 la troupe « Terrain vague » s’est séparée. Je voulais travailler sur les textes. J’ai appris beaucoup en lisant, cherchant, en apprenant sur les livres, les notes, en particulier celles de Declan Donnellan, un metteur en scène très important pour moi. J’ai aussi fait 3 mois de stage de mise en scène chez Lev Dodine en Russie. Et là je me suis dis: c’est fini d’apprendre sans faire, faut apprendre en faisant.

Puis j’ai eu une rencontre capitale avec Cecile Garcia Fogel qui venait du théâtre public et qui travaillait beaucoup les textes. Plus tard on travaillera beaucoup ensemble sur plusieurs pièces dont le Nougaro et Phèdre, entre autres.

En 2000 Ariel Garcia Valdès me propose d’intervenir à l’Ecole de Montpellier avec lui. Et j’ai aussi eu la chance qu’on me propose de monter un spectacle au Théâtre du Peuple. Puis je deviens directeur de ce théâtre durant 3 ans, avec des spectacles qui rencontrent un beau succès. Les choses démarrent vraiment pour moi en tant que metteur en scène. S’en suit la proposition de monter « Le mariage de Figaro » à la Comédie française, puis j’interviens au conservatoire. Et de rencontres en créations, en 2008 je deviens directeur du Théâtre Gérard Philippe pendant 6 ans.

BDNV: Encore une étape de franchie donc. Directeur de théâtre c’est une autre aventure. Mais toujours dans la continuité.

CR: En effet  dans un parcours tout est question de hasard mais surtout d’agencement des évènements. Directeur de théâtre public c’est une expérience humaine très forte. Tu diriges un théâtre, ton théâtre certes mais c’est surtout le théâtre des gens. En arrivant au théâtre Gérard Philippe je voulais de la couleur pour trancher avec le gris des théâtres publics parfois, un peu arides et très hermétiques si trop contemporains. Le théâtre Gérard Philippe est implanté en Seine Saint Denis. Un défis humain, social et de lien avec la ville et ses habitants devait se relever. C’était très riche. On a réussi avec l’équipe à recréer une relation entre Saint Denis, sa population et le théâtre, comprenant aussi la reconstruction du théâtre. J’ai monté Marivaux qui a eu le prix de la critique, puis « Phèdre » et « Le couronnement de Popée » qui est un opéra. Et là tout s’est apaisé entre le théâtre et la ville, la distance a diminué. Et je me suis rendu compte que les gens nous disaient: donnez nous des oeuvres classiques, les autres choses on connait, c’est notre quotidien. Et puis les spectacles ce n’est pas seulement comment tu les fabriques mais aussi où tu les présentes. Pour les gens de Saint Denis c’est plus dur d’aller à l’opéra Garnier que de venir voir un opéra dans leur théâtre à Saint Denis. Ca se passait super bien. Jusqu’au jour où le conseiller à la culture et la directrice des affaires culturelles de la mairie de Saint Denis m’annoncent qu’ils vont me sucrer 50 000 euros de budget. Alors j’ai dis, ok si c’est ça, je m’en vais. Et comme ça tombait au moment du renouvellement de mandat j’ai fait ma demande à Lille.

BDNV: Pourquoi Lille?

CR: Parce que c’était quatre sites. Deux théâtres, un à Lille, un à Tourcoing, un atelier et une école. Et je voulais travailler avec une école. J’ai passé l’entretien, j’ai présenté mon projet et j’ai été pris. Et depuis 2014 je suis à Lille.

BDNV: Comment s’articule ton projet à Lille? 

RC: En arrivant au Théatre du Nord j’ai voulu ouvrir le théâtre dans sa structure, on a recréé le hall, on a remodelé l’espace d’accueil du public. Tout ça vient du Théâtre du Soleil et du rapport aux gens. Il faut que les gens viennent. Il faut que les gens se sentent chez eux en étant ailleurs. C’était ça la clé. Et c’est un des levier du succès. Comme on n’avait pas  d’argent j’ai pris des décors à moi, des matériaux et des meubles de récup, des décors d’autres spectacles.

BDNV: C’est complètement écolo ça!

CR: Oui mais je ne veux pas faire de la récup. que pour la recup. L’idée c’est qu’un spectacle n’en chasse pas un autre mais l’alimente, donc les décors aussi. J’ai aussi choisi de ne pas avoir de mobilier super clean, tout neuf pour que les gens le reconnaissent et non pas qu’ils le découvrent. J’ai dis un jour au responsable de l’accueil du Théâtre Gérard Philipe à Saint Denis: « Ici les gens doivent être reçu comme chez eux ». Et cela change tout.

Photos Simon Gosselin

Et à Lille il y a aussi l’école de comédiens qui me tenait à coeur. J’ai instauré une école d’auteurs. Pour ne plus que les auteurs soient trop seuls comme souvent. Sur la promo de 18, il y a donc 14 comédiens et 4 auteurs élèves.

BDNV: C’est quoi le lien fort avec les écoles pour toi?

CR: J’ai appris avec Ariane à diriger. Le rapport pédagogique chez Ariane est très puissant. Et je n’ai jamais oublié ce que me disait mon grand père: « un métier cela ne s’apprend pas cela se vole, encore faut il que celui à qui tu voles ait des choses à voler ». 

Du coup, fidèle à cette leçon de vie de mon grand père artisan, moi je dirigeais comme elle. Tu apprenais en voyant Ariane diriger. Consciemment et inconsciemment elle dirigeait de façon très pédagogique car il y avait beaucoup de jeunes gens au Théâtre du Soleil. Mon rapport avec l’école s’est fait naturellement et de façon très concrète. Le théâtre n’est pas seulement intellectuel, c’est très physique, concret dans les corps et dans l’espace. 

Mon rapport au théâtre est très palpable, dans le vivant, la matière. Mon parcours est instruit d’émotions, de sensations, mais aussi de voyages, de physique. C’est ce que j’essaie de faire passer aux élèves. D’ailleurs tous les élèves font un voyage d’1 mois dans leur cursus à l’école du Nord.

BDNV: C’est eux qui choisissent leur lieu de voyage?

RC: Oui, ils partent sans rien, déconnectés, juste avec la mission d’envoyer une vidéo par semaine. Et au retour ils présentent un spectacle de leur voyage de 30 à 50mn. C’est comme ça que le spectacle d’Avignon que j’ai présenté avec les élèves cette année est arrivé d’ailleurs. « Le pays lointain » 

                                                                  Photo Simon Gosselin

BDNV: Dans ton parcours le lien est facile à faire entre le rapport à la vie, à l’humain, à la matière, à l’espace et du coup probablement à la nature. Te sens tu concerné par l’écologie?

CR: Oui complètement. Dans les recherches sur l’écologie  on se sert des choses d’avant en les rendant scientifiques, en les modernisant comme les éoliennes par exemple et le vent. Et je trouve cela hyper intéressant. On te dit souvent si t’es bio t’es bobo. Mais non c’est pas que ça l’écologie, c’est aussi tellement de recherche, de découverte, de choses encore à exploiter, à expérimenter. Et puis aujourd’hui pour être moderne on emploie des mots anglais, ça nous fait faire de l’économie sur les mots, et du coup des économies sur tout et des économies sur le dos des espaces publics. C’est du langage commercial mais on a pas tous envie d’être commerçant.

BDNV: Et dans ton quotidien quels sont tes choix de consommation?

CR: Je mange local et avec les circuits courts le plus possible. Je viens d’ici, d’un petit village du Sud où j’ai mangé toute mon enfance des vrais fruits, des vrais légumes du jardin de mon grand père. Et j’ai redécouvert le gout des fruits de mon enfance chez les bios, les maraichers en vente directe. Dans mon quotidien je suis là dessus. A Paris avec un ami, on a découvert une boulangerie qui ne travaille qu’avec des céréales anciennes. Je trouve ça très bien. 

Au théâtre même si je recycle ma question dernièrement se posait sur les lumières.  On travaille avec des techniques et des techniciens incroyables. Mais ce ne sont pas des lumières led. La lumière led au théâtre pour l’instant c’est pas possible. C’est trop froid, trop plat. La lumière c’est mes crayons de couleurs… Mais des gens cherchent là dessus. Ca va avancer probablement.

En tout cas, ce que je crois vraiment, sans vouloir faire de politique, pour moi aujourd’hui le seul endroit où il y a de l’espoir, de l’innovation, de la surprise, et de l’intelligence c’est dans la révolution verte et pas dans autre chose.

BDNV: Très belle conclusion Christophe à ce riche entretien ouvert sur le partage humain, émotionnel et physique via le théâtre. Merci

Bonne route à toi Christophe et tes élèves pour que perdure ce bel esprit d’échanges, de dons et de culture au sens le plus noble du therme! 

Prochain spectacle de Christophe Rauck :

en décembre: Ben oui mais enfin bon!

Commande d’un texte à l’auteur Rémi De Vos pour quatre comédiens issus de la dernière promotion de l’Ecole du Nord.

en Mai: Départ Volontaire 5e commande de Christophe Rauck à Rémi De Vos.

 Erika pour Bio dans nos Vies