Severn,12 ans s’adresse à l’ONU: 6 mn pour convaincre!

SEVERN CULLIS-SUZUKI/PARIS-MATCH/02/11/10

 

Le jour où…

… à 12 ans, j’ai imploré les dirigeants du monde de sauver l’avenir des enfants.

 

PAR SEVERN CULLIS-SUZUKI. A 8000 kilomètres de chez moi, du haut de mes 12 ans, je n’ai qu’une idée en tête : au nom des enfants du monde, demander aux dirigeants réunis à Rio lors le premier sommet de la terre ce qu’ils comptent faire pour notre futur. Pendant dix jours, on me refuse le micro. Mais au moment de reprendre l’avion, le 14 juin 1992, j’ai enfin 6 minutes pour convaincre.

Propos recueillis par Veronick Dokan

 

Le 3 juin 1992, lorsque nous posons le pied sur le sol Brésilien, je sens mon cœur qui s’accélère et un grand sourire éclaire mon visage de gamine. On se regarde avec les trois amies qui m’accompagnent, nos yeux sont brûlants d’espoir et de certitude en même temps. Bien que nous n’en ayons jamais vraiment douté, c’est pourtant incroyable, nous sommes enfin si près du but ! Je ne sais plus qui d’entre nous a entendu parler de ce premier sommet de la terre organisé à Rio l’année suivante. Mais, l’évidence s’est imposée d’emblée : nous nous devions d’y être ! Moi, la fille de Tara Elizabeth Cullis, professeur à Harvard et écrivain et de David Suzuki généticien, tous deux fervents activistes écologiques, je suis depuis toujours habitée par le combat de mes parents. Avec eux, j’ai pris l’habitude d’aller pêcher, de jouer sur la plage, de partager les coutumes des tribus Indiennes des Queen Charlotte Islands au sud de l’Alaska et déjà, je sais reconnaître les dégradations faites par l’homme. Pour moi, protéger et respecter la nature est comme une seconde nature. Plus encore depuis que j’ai découvert les dégâts de la déforestation en Amazonie. De retour à Vancouver où nous vivions, j’ai créé, avec quelques camarades de classe ECO, une association environnementale. Et c’est avec elles, Vanessa, Morgane, Michelle que nous préparons ce voyage. On l’anticipe, on le rêve, on y croit. Plus d’un an que, dès l’école finie et les devoirs appris, nous fabriquons des boucles d’oreilles et des colliers que l’on vend aux amis, aux professeurs, aux passants… Des mécènes nous ont aidées. Nos parents aussi car bien sûr les sommes que nous avons récoltées ne sont pas suffisantes pour payer notre séjour à Rio. Ils nous accompagnent et c’est maman qui se charge des démarches afin de nous enregistrer auprès de l’organisation du sommet. Dans les couloirs, il y a un monde fou. La tête nous tourne. On attend des heures avant de récupérer nos badges et de nous voir attribuer un petit stand que nous nous empressons de décorer avec les affiches que nous avons fabriquées pour l’occasion. Pas question d’aller à la plage ou de faire du tourisme. Tous les jours, nous sommes fidèles au poste. Notre présence au milieu de tous ces adultes intrigue. Sans relâche, on explique nos inquiétudes en l’avenir. On tente de convaincre, d’alerter. Nos arguments émeuvent. Mais je ne suis pas contente. Moi, ce que je veux, c’est parler les yeux dans les yeux aux présidents du monde. Aux plus grands, aux plus influents ! Chaque jour, nous déposons une demande officielle afin d’avoir le droit de monter à la tribune de l’ONU. Chaque jour, elle reste sans réponse… Et si notre rêve avait été trop grand pour nous ? Et si la cause qui nous habite nous avait aveuglées ? Le 14 juin, nous avons rendues nos chambres d’hôtel et fait nos bagages. L’avion qui nous ramènera à Vancouver est probablement déjà sur le tarmac. Il nous faut rentrer, le cœur bien désillusionné. Soudain, le téléphone sonne : « Dans une heure, la tribune est à vous » nous averti un représentant des Nations Unies ! On a sauté dans un taxi direction le sommet. Pourquoi est-ce moi qui parlerais et pas l’une de mes petites camarades ? Peut-être parce que j’étais terriblement sûre de moi. Aujourd’hui, j’envie ce pouvoir des enfants de ne pas douter. Je n’ai pas eu le temps de stresser, tout juste celui de mettre en ordre les idées que nous exposions sans relâche depuis dix jours à tous ceux qui voulaient bien nous écouter. Toute petite, dans ma robe à fleur de jeune ado, j’ai pénétré dans cette salle immense remplie de représentants de l’Onu et de journalistes. Je suis montée à la tribune, j’ai posé mon papier devant moi et j’ai dit : « Je m’appelle Severn Suzuki… Je suis ici pour parler au nom de toutes les générations à venir. Je suis ici pour parler au nom des enfants affamés partout dans le monde dont les cris ne sont pas entendus. Je suis ici pour parler au nom des innombrables animaux qui meurent parce qu’ils n’ont pas d’autre endroit où aller… ». Pendant 6 minutes, c’est mon cœur qui s’est exprimé. S’en est suivi un long silence. Et puis le bruit assourdissant des fauteuils qui claquent a retenti. La salle entière s’est levée pour applaudir. Certains pleuraient… En coulisse, quelqu’un que je ne connaissais pas s’est approché de moi. « Votre discours est le meilleur que j’ai entendu ici à Rio ». Plus tard, j’ai su qu’il s’appelait Al Gore…

BIO EXPRESS

1979. Naissance le 30 novembre à Vancouver au Canada

1988. Fonde l’association ECO avec des camarades de classe

1992. Participe au Sommet de la terre à Rio

2002. Diplômée de Yale avec une maitrise d’écologie et de biologie évolutionnaire, elle participe au sommet de Johannesburg aux côtés de Kofi Annan.

2003 : Severn, depuis cette date, écrit des livres, présente des programmes pour enfants à la télévision et donne des conférences dans le monde entier

2006 : Mise en ligne de son discours de l’Onu sur You Tube. Ce document a été visionné des millions de fois à travers le monde. Aujourd’hui encore, Severn ignore qui l’a posté sur ce site.

2008. Elle s’installe dans la communauté Indienne à laquelle appartient son mari dans l’archipel Haida Guaii. Elle y est baptisée « Killthgula Gaayaa », ce qui signifie bonne oratrice.

2009 : Naissance de son premier enfant. 

2010. Le réalisateur Jean-Paul Jaud a fait d’elle le fil rouge de son film « Severn, la voix de nos enfants » disponible en DVD, et le DJ’ Laurent Wolf a samplé son discours dans sa chanson « 2012 : Not the end of the world »

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