Le safran des Baous

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Erika Del Citerna Rasse, couleur safran !

Erika a grandi dans le monde de la mode ; sa maman était directrice de collection d’une grande marque de vêtements. Son amour des couleurs est-il né là, dans les ateliers de créations?

Elle a voyagé dans le monde à la rencontre des êtres humains et de leurs cultures. Curieuse et attentive à la vie sous toutes ses formes, elle a exploré plusieurs domaines dont celui de l’enfance, du théâtre, de l’écriture, mais c’est au rôle de maman qu’elle s’est vouée corps et âme. Avec Jérôme, son mari, ils ont élevé 4 enfants, grands aujourd’hui. Son énergie est palpable, sa présence, solaire et son envie de partager communicative. Pour elle, chaque jour qui se lève est une nouvelle chance d’avancer, d’apprendre, de réfléchir et de rire. (Beaucoup).

p1060061Avec bonheur, elle réalise et monte les reportages filmés du site « biodansnosvies » et écrit des articles en faveur de l’environnement, une de ses préoccupations premières. C’est dans ces échanges et ces rencontres qu’elle a reconnu son désir de se mettre en marche, pour vivre son aventure au plus proche de la nature.

20161022_112424Un brin poète, une plume fleur bleue, Erika a depuis l’année 2015, fondu pour un petit crocus violet, aux étamines jaunes, et aux stigmates rouges comme du velours. Des couleurs, toujours des couleurs !!!

 

 

20161022_112019Sur les terres de Saint-Jeannet, dans le domaine des Sausses qui abrite l’âme de la famille Rasse, elle a posé ses genoux à terre pour y planter des bulbes. La nature lui a donné en retour des petits cadeaux subtils et merveilleux qu’elle cueille avec délicatesse. Elle a souvent pensé que la terre est une amie généreuse qui offre beauté à qui veut la voir. Aujourd’hui, en cueillant ses fleurs de safran, elle réalise la fragilité et la force de la vie.

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Le safran est une culture un peu à part, comment y es-tu arrivée ?

Plusieurs choses ont été déterminantes. Tout d’abord, l’influence de ma grand-mère paternelle, italienne, Adrienne. Elle était florentine et elle parlait souvent du safran, de sa subtilité. Elle cuisinait souvent au safran; ma passion pour ce goût vient sans aucun doute de là.

Il y a aussi ma mère, qui était parisienne mais imprégnée de ruralité et connaissait toutes les fleurs. Lorsque j’étais enfant nous passions toutes nos vacances en Creuse dans la maison de mes grands parents maternels … Les membres de ma famille ont grandi en ville avec des origines rurales. Quand j’arrive sur la plantation, je pense à eux. J’ai la sensation de leur rendre hommage.

De plus, pour documenter le site « bio dans nos vies », nous rencontrons des personnes qui ont des parcours particuliers, des démarches environnementales ou éthiques et tous étaient passés à l’acte un jour. On rentrait donc dans le « domaine des possibles ». J’ai toujours pensé faire un reportage sur la culture de safran mais pour des raisons diverses cela n’a jamais pu se faire … Pourtant je continuais à faire couramment des recherches sur cette culture, féminine et subtile. Petit à petit, je suis passée de l’envie de faire un reportage sur le safran à l’envie de le cultiver. D’autant que le rythme des plantations et des récoltes me semblait très bien s’accomoder avec ma vie et mes activités.

Mon contexte familial actuel m’a aidée aussi à prendre conscience que j’avais l’espace pour tester cette culture. Encouragée par Jérôme mon mari, issu d’une famille de vignerons, je me suis lancée. Il a, par son expérience de la terre, une vision globale du projet et me donne de précieux conseils.

Quelles sont les différentes étapes de la culture ?

Pour installer une safranière, il faut préparer le terrain et procéder à la plantation des bulbes entre Juillet et Août. Ensuite, il y a la floraison : c’est la cueillette. Les fleurs sortent entre début Octobre et fin Novembre.

Fleur à fleur, pendant cinq à six semaines, c’est le temps de la cueillette.

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Une fois la récolte faite, on émonde.

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Emonder, c’est prélever le pistil qui est constitué de 3 stigmates, rouge orangé et qui sera rouge sang après le séchage.

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Ils sont conditionnés dans le noir à l’abri de l’air pendant 2 mois et seront alors consommables. Enfin, tout au long de l’année il y a le désherbage. Chaque étape de travail est entièrement manuelle. Par chance pour les étapes les plus rudes comme la préparation du terrain et la plantation je suis aidée par Jérôme.

Est-ce difficile de réussir la culture du safran ? Et cela nécessite t-il une terre spéciale ou une exposition particulière ?

20161028_094113Ce n’est pas très compliqué ! C’est beaucoup de main d’œuvre. Il faut désherber et surveiller de près pour éviter les maladies. Il faut que le terrain soit bien exposé avec un bon taux d’ensoleillement. La terre doit avoir un PH assez équilibré ni trop acide, ni trop basique. Cela ne demande pas spécialement d’arrosage ; il suffit qu’il y ait un bon taux de pluviométrie juste avant la floraison.

Y a t-il eu des difficultés à l‘élaboration de ton projet de culture ?

Personnellement, la plus grande difficulté a été de dépasser mes barrières personnelles. Pour le reste, sur le plan pratique, j’ai été aidée et encouragée par Jérôme et les membres de sa grande famille, agriculteurs ou pas, travaillant encore la terre ou pas. Tous ont été réceptifs au projet et m’ont témoigné leur enthousiasme.

capture-decran-2016-11-17-a-11-26-12Où et comment choisis-tu les bulbes que tu planteras ?

Je tenais à faire une culture biologique. On trouve les bulbes chez les grainetiers mais surtout chez les safraniers. Certains en proposent en bio. Les bulbes fonctionnent à l’envers : au printemps les feuilles vont sécher, être au repos tout l’été et ils redémarreront fin septembre. Une safranière ne peut-être laissée en place que 3 à 5 ans. Au bout de ce temps, il faut sortir les bulbes de terre, les désolidariser de leurs bulbilles et les replanter sur un autre espace : le bulbe pompe la terre en nutriments et cela évite qu’il soit attaqué par diverses maladies ou parasites.

Comment as-tu interprété la réponse de la nature, quand tu as récolté le fruit de ton travail ?

Je me disais que c’était donc possible, que mon choix était judicieux et en accord avec moi et mon amour de la beauté. Quand tu plantes, tu as des doutes ! Puis un matin, tu aperçois deux, trois pousses vertes, puis quatre, cinq fleurs… Là ! C’est magique !
Cette fleur, à laquelle on attribue vertu et magie au delà de colorer et de parfumer a des vertus anti-oxydantes, médicinales, digestives, aphrodisiaques, antidépressives.

20161022_113538Le safran venait du Moyen Orient. Cultivé au Moyen Age en Europe, il a disparu quasi totalement pour y revenir il y a quelques décennies. Il a une histoire liée à l’évolution de nos civilisations. Utilisée depuis l’Antiquité, elle ne se plante pas à l’état naturel. C’est une plante de sélection issue d’un crocus venant du Cachemire. Elle a été utilisée en cosmétique par les Egyptiens. La légende dit que Cléopâtre en faisait infuser dans son bain au lait d’ânesse… On raconte aussi qu’Alexandre le Grand, prêt à conquérir le Cachemire en 326 av JC, installe son camp un soir d’automne dans une prairie. Seulement au matin, il découvre son armée au milieu d’un océan de fleurs mauves, apparues pendant la nuit, comme par magie. Les 120 000 soldats effrayés par ce spectacle impressionnant, ressemblant à un drap mortuaire, croient à un sortilège et refusent d’aller plus loin. Alexandre Le Grand donne l’ordre du retour, contraint de se plier aux volontés de ses soldats.

Que t’apporte cette activité sur le plan personnel ?

20161028_093442Elle sert de trait d’union entre ma ruralité et mon coté citadin, comme un équilibre entre le travail du corps et celui de l’esprit. Je retrouve tout ce qui m’a nourrie enfant : les émotions liées à la nature lors des promenades en foret, l’odeur de la nature, les moissons en Creuse, le coté rude où la valeur du travail a une signification.

20161028_093459-copieMon amour des couleurs et des matières, de l’art en général est aussi une composante de ma personnalité… Cultiver me semble être un art.

J’aime le côté méditatif de la récolte, le silence parfois. Et puis j’aime aussi partager l’émerveillement de ceux qui viennent me rencontrer sur la safranière. Tous mes amis ont été saisis par la magie de cette petite fleur fragile et éphémère mais si robuste.

20161117_141931Que feras-tu des grammes récoltés ?

Il peut y avoir plusieurs destinations. On peut en faire des produit dérivés (vinaigre, moutarde, confits d’oignons, confitures). On peut aussi en vendre au gramme à des restaurateurs (Il faut entre 150 et 200 fleurs pour 1 gr de safran) ou aux particuliers.

capture-decran-2016-11-17-a-11-19-10En 2015, j’ai eu la chance de rencontrer le chef Sébastien Liprandi «La table des baous » à Saint-Jeannet qui a voulu spontanément acheter ma production, la première ! Il a associé le safran à des poissons et à un sirop aux écorces d’oranges pour ses desserts. Un délice ! Un tel accueil  a été vraiment encourageant pour moi. Il met en valeur à sa carte, ce produit de Saint-Jeannet qui pousse à 3 kilomètres de son restaurant. L’idée que mon safran soit travaillé par des chefs me plait beaucoup. Bien sûr, j’en cuisine moi-même avec plaisir et satisfaction ! Je fais des expériences, je cherche des accords.

capture-decran-2016-11-17-a-11-39-56Peux-tu partager avec nous une recette au safran ?

Avec plaisir, je vous livre une recette d’Adrienne, ma grand-mère italienne:

Supions (petites seiches) à la sauce tomate safranée : Ingrédients pour 4 personnes :

800 g de supions

1 casserole de sauce tomate à la provençale préparée selon vos habitudes

10 cl de vin blanc

Huile d’olive

Sel, poivre, une pointe de piment de Cayenne selon gout

12 pistils de safran. 

 

La veille, faire infuser dans un verre d’eau tiède 12 pistils de safran.

Nettoyez les supions en supprimant les yeux et le bec.

Rincez-les soigneusement, puis égouttez-les. Versez-les dans la sauteuse. Salez, poivrez.

Faites revenir sur feu assez vif jusqu’à ce que toute l’eau rendue soit évaporée. Versez le vin blanc sur les supions, l’ail pelé et écrasé et 1 cuillerée à soupe d’huile d’olive. Assaisonnez d’une pointe de Piment de Cayenne.

Ajoutez la sauce tomate, laissez cuire les supions en mélangeant la préparation de temps en temps jusqu’à ce que la sauce soit bien réduite et onctueuse.

10 mn avant la fin de la cuisson rajoutez l’infusion de safran pistils compris.

Servez avec un riz rond, blanc que vous pouvez légèrement safraner aussi 😉

                                                                   capture-decran-2016-11-17-a-11-31-38Infos pratiques 

 

 

 

 

 

  • Le safran est consommable deux mois après le séchage et pendant deux ans pour qu’il garde toutes ses vertus.
  • En cuisine, le safran est colorant (teinte jaune) et il est aussi exhausteur de goût.
  • Faire infuser la veille dans 1cl à 20 cl d’eau tiède ou de lait selon les préparations et ajouter cette infusion 10mn avant la fin de cuisson du plat mijoté.

 

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Merci Erika d’avoir partagé avec nous, une part d’enfance.

 

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Pascale S. pour biodansnosvies.fr

Photos : Erika, Pascale, Sandrine