Plantes toxiques, Plantes magiques, Dr Pascale Gélis-Imbert

Plantes toxiques, Plantes magiques

Le monde entier est constellé de plantes aux mille et un pouvoirs, aux mille et une vertus. Pouvoir de nourrir, de guérir, d’ensorceler, d’agrémenter… pouvoir de tuer. Depuis la préhistoire, l’homme sait comment utiliser les végétaux ; on a retrouvé des graines dans des grottes datant du néolithique. Dans l’Antiquité, l’usage des plantes à des fins thérapeutiques était courant. Des plantes aromatiques étaient, aussi, utilisées à des fins divinatoires. Le Moyen-Âge fût une période complexe à de nombreux égards, notamment pour les plantes médicinales. Elles furent, à la fois, reconnues par Charlemagne grâce au Capitulaire de Villis qui édictait qu’elles soient cultivées dans les monastères mais aussi fortement décriées ; nombreuses furent les « Herboristes-Sorcières » qui finirent leurs jours sur des buchers. Les siècles passant la science a expliqué l’activité de certaines plantes. L’analyse puis l’expérimentation ont permis d’identifier des composants chimiques et de leur attribuer des effets thérapeutiques. Certaines plantes synthétisent des molécules si puissantes que l’on a pu  en faire des médicaments c’est le cas de la digitale pourpre (Digitalis purpurea L.), du datura (Datura stramonium L.), du pavot somnifère (Papaver somniferum L.)… D’autres peuvent être médicinales mais présenter des effets toxiques selon l’extrait utilisé c’est le cas de la sauge officinale (Salvia officinalis L.).

La digitale pourpre ou grande digitale a la particularité d’appartenir à deux familles botaniques. Selon la classification classique, elle appartient à la famille des Scrophulariaceae comme les Véroniques tandis que selon la classification phylogénique elle appartient à la famille des Plantaginaceae comme les plantains. La première classification s’appuie sur les ressemblances visibles entre individus, la seconde retrace l’histoire de l’évolution des espèces. Comme son nom l’indique ses fleurs ressemblent à des doigts… de couleur pourpre. Mais si on les regarde « de face » se dessine alors un cœur ce qui lui a valu très tôt, selon la « Théorie des signatures » (www.webflore.fr, Anémone hépatique), un certain tropisme pour notre organe vital. Effectivement, les feuilles de digitale renferment un hétéroside cardiotonique, la digitaline, prescrit aux patients souffrant d’insuffisance cardiaque. La digitale est une plante extrêmement toxique rapidement mortelle.

Le datura officinal est une plante de la famille des Solanaceae dont les fleurs blanches sont d’une pureté rare. Cependant, elle cache bien son jeu car c’est une plante utilisée en magie noire, c’est la plante des chamanes. Dans le sud de la France, on a tendance à le confondre avec son proche cousin, le brugmansia, plante ornementale communément rencontrée dans les jardins. Le datura contient des nombreux alcaloïdes (hyoscyamine, scopolamine… atropine) qui agissent au niveau du système nerveux central. A Haïti, il est utilisé par les « Faiseurs de Zombies », apanage des sorciers vaudous qui auraient le pouvoir de « ressusciter » les morts. Une personne élue prend, à son insu, un mélange d’extraits d’origines douteuses et variées (crapauds, poissons-globes, végétaux…) qui lui fait perdre connaissance. Aux yeux de tous elle semble morte et on l’enterre. Quelques heures après l’inhumation, le sorcier vaudou fait ingurgiter au « Mort-Vivant » une préparation composée de différentes plantes dont du datura. C’est un antidote à la première potion qui a pour effet de « ressusciter » le mort. Toutefois, le datura n’est pas utilisé qu’à des fins divinatoires ou initiatiques. La scopolamine a fait l’objet d’études scientifiques approfondies. Elle possède des propriétés antispasmodique(1) et sédative(2) du système nerveux central préconisées dans l’asthme, les névralgies(3), la maladie de Parkinson…

Le pavot somnifère, de la famille des Papaveraceae comme notre gentil coquelicot, est une plante passionnante. Il est surtout connu grâce à son fruit, une capsule renfermant un latex qui, séché, donne l’opium substance chère à bon nombre de nos poètes. Charles Baudelaire en consommait régulièrement car c’était une drogue légale et peu chère. Il écrivait dans « La chambre Double », « Le Spleen de Paris » : « La fiole de laudanum ; une vieille et terrible amie ; comme toutes les amies, hélas ! Fécondes en caresses et en traîtrises ». Ce suc est riche en alcaloïdes comme la morphine, la codéine… dont les usages pharmaceutiques sont nombreux. La morphine est un analgésique très puissant, la codéine est un antitussif(4). Malheureusement, le XXème siècle a vu apparaître, à cause de la synthèse chimique, des produits toujours plus puissants tels que les sels morphiniques et la tristement célèbre « héroïne »…

La sauge officinale est une très belle plante herbacée de la famille des Lamiaceae, comme le thym, le romarin, la mélisse… Comme la plupart des êtres humains, derrière son minois feutré, elle cache un étrange côté obscur. Mais qui ne connait pas l’adage « Qui a de la sauge dans son jardin n’a pas besoin de médecin »… Il faut donc bien la connaître pour ne voir en elle que beauté et bienfaîts. La tisane de sauge officinale est emmenagogue(5), antispasmodique, digestive, tonique (www.webflore.fr)… un véritable élixir de jouvence. Tandis que son huile essentielle, très connue pour ses effets oestrogène-likes(6), contient une substance neurotoxique, une cétone, la thuyone. Souvenez-vous de l’absinthe, si chère à Emile Zola, et des dégâts qu’elle a provoqués, au XIXème siècle, chez tous ceux qui en abusaient. L’absinthe (Artemisia absinthium L.) de la famille des Asteraceae contient, elle aussi, de la thuyone. La sauge officinale est une plante médicinale et aromatique, complète et complexe… une plante qui a une charme fou dont on doit savoir se servir… C’est ce que fait, à merveille, Virginie Parée dans « L’alimentation Santé, Les recettes » avec la recette du pintadeau à la sauge et au citron, un vrai régal pour notre corps et nos papilles !

De tous temps les plantes ont exercé une véritable fascination sur les hommes grâce à leur beauté et leurs activités pharmacologiques. Il est intéressant de réaliser que le pouvoir d’une plante dépend de la façon dont on s’en sert. La plupart est  utilisée sous forme d’extrait (infusé, décocté, huile essentielle…) mais certaines sont des pourvoyeuses de molécules comme la digitale avec la digitaline, le datura avec la hyoscyamine, le pavot avec la morphine… le fameux saule blanc avec l’acide salicylique. Ces molécules naturelles sont extraites, isolées, analysées puis synthétisées pour entrer, en tant que « Principe actif », dans la composition d’un médicament. Il est intéressant de rappeler que 70% des molécules médicamenteuses ont une origine naturelle. Elle nous semble, hélas, souvent, bien lointaine…

Pascale Gélis-Imbert

Docteur en Pharmacie

Phyto-aromathérapie

www.webflore.fr   

www.centre-epi.com

  1.  Antispasmodique : permet de lutter contre les spasmes.
  2. Sédatif : calme l’anxiété, la tension nerveuse…
  3. Névralgie : affection douloureuse causée par un nerf.
  4. Antitussif : qui arrête la toux.
  5. Emménagogue : qui provoque et régularise les règles.
  6. Oestrogen-like : qui a une activité comparable à celle des oestrogènes.